La retouche d’image avant Photoshop

L’estampe – qui se trouve au confluent de l’artisanat, du commerce et de l’art – est le support des activités, des envies, des besoins, des représentations des hommes. C’est ce qui la rend passionnante, car bien plus complexe que la plupart des autres médias et faisant intervenir une grande variété d’acteurs.

Un petit exemple amusant dont on ne sait à peu près rien, mais sur lequel je suis tombé aujourd’hui en faisant du pré-inventaire. Pour réaliser une estampe, vous gravez une plaque de cuivre, qui est ensuite encrée : vous posez une feuille de papier humide sur cette matrice, passez le tout sous une presse, l’encre vient alors imprimer le motif gravé sur la feuille. Mais il est toujours possible de modifier le motif gravé sur la plaque et d’alors tirer de nouvelles épreuves. On obtient alors un nouvel « état » de la même gravure.

Ces états peuvent servir à vérifier l’avancement du travail, à approfondir son travail, à modifier la lettre (changement d’adresse de l’éditeur…)… ou à mettre à jour un portrait.

On a donc là un graveur qui représente le tout jeune sultan ottoman : la lettre indique qu’il a 10 ans.

Le sultan a dix ans

Le sultan a dix ans

Mais le temps passe et les petits garçons grandissent. Ce qui est dans l’ordre des choses mais contrariant quand votre gagne-pain est de vendre des portraits et que vos clients préfèrent des représentations exactes et à jour.

Que faites vous alors ? Vous demandez au graveur (ou à un autre) de reprendre la plaque. Il est trop compliqué de vieillir le sujet, on va donc faire au plus simple. On change le fond et… on lui ajoute simplement une moustache.
Bien sûr, la lettre parle de ses « 10 ans », il faut arranger cela, ce qui n’est pas pratique car le mot « Turcs » est sur la même ligne que la mention de l’âge. On fait donc remonter ce mot à la ligne supérieure, de manière pas très propre car la place manque, et on recoupe purement et simplement la plaque pour supprimer la seconde ligne, où figurent les « 10 ans ».

Le petit sultan moustachu

Le petit sultan moustachu

On a ainsi un parfait sultan devenu jeune adulte à la virile moustache, que l’on s’arrachera sur le marché parisien !

Comparaison des deux états

Comparaison des deux états

Epreuves : BnF, département des Estampes et de la Photographie, N2 (Ahmed II), D069200-D069201. Je n’ai pas creusé ni fait de biblio mais l’éditeur est sans doute Balthazar Moncornet, vers 1653-1655.

Cette entrée a été publiée le 5 mars 2013 à 22:35. Elle est classée dans Le travail du conservateur et taguée . Bookmarquez ce permalien. Suivre les commentaires de cet article par RSS.

4 réflexions sur “La retouche d’image avant Photoshop

  1. Le , Katherine Nikitine a dit:

    Hahaha, j’ai bien ri !

    Et j’irai encore plus loin: dès la version de ses 10 ans, Ehmet pâtit d’un changement de police entre la première et la deuxième ligne. De plus, son visage poupin évoque plus sûrement celui d’un bébé que d’un garçonnet.

    A n’en pas douter, celle que l’on tient pour la première version est donc elle-même la retouche de l’échographie d’Ehmet Empereur des Turcs.

    J’appelle l’Express ?

  2. très drôle 🙂
    pauvre petit sultan, qui malgré ses viriles moustaches avait gardé ses mains et ses joues de garçonnet…

  3. Le procédé est assez intéressant dans l’ensemble. Je sais aussi que les russes savaient faire des photos en couleurs en trichant un peu. Le principe est d’utiliser trois clichés de photos avec trois filtres de couleurs différents : le rouge, le vert et le bleu. Après en les mélangeants, ils obtenaient des photos avec des couleurs. Je reste étonné de l’intelligence de contournement pour retoucher des images ou en obtenir avec des couleurs, c’est un peu comme de la magie et je trouve ça sympa.

  4. En gros c’est comme le golf, la retouche se démocratise.. Avant, certaines femmes ne pouvaient pas sortir sans se maquiller, maintenant c’est la retouche avant de publier..

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