Aujourd’hui sur Twitter, le journaliste et romancier Pierre Assouline a écrit :
Ravages de la "source" Wikipédia : tous ces journaux qui attribuent à l'éditeur Maurice Nadeau la découverte de Beckett, Soljénitsyne…
— pierre assouline (@Passouline) June 19, 2013
M. Assouline n’avait pas parlé de Wikipédia depuis plusieurs années et il est réconfortant de voir que le projet lui tient toujours à coeur.
Sur le fond, cependant, cette dénonciation est étonnante. Je ne suis pas journaliste mais il me semblait que le travail consistait précisément à recueillir des sources, choisir les plus intéressantes et en tirer un texte qui les mette en oeuvre afin d’informer les lecteurs. Dès lors, il est difficile de comprendre comment une source peut provoquer de tels ravages. Sauf si on part du principe que les journalistes recopient sans vérifier, sans comprendre, sans connaître leur sujet… mais ce serait alors une rude charge de la part de M. Assouline envers ses collègues.
D’autant que Wikipédia – et certains le dénoncent pour cette raison – est souvent plus visible et en tout cas plus lu que les journaux : ce serait une drôle d’idée de copier-coller une ressource gratuite et visible sans apporter de valeur ajoutée et vendre le résultat.
Mais encore ceci vaudrait-il si les contributeurs de Wikipédia avaient été pris en défaut. Or, que lisait-on alors dans l’article Maurice Nadeau à cette date ?
Les noms avancés sont donc ceux de personnes éditées par Nadeau ou d’auteurs dont Nadeau a contribué à la découverte en France (et non de la seule découverte comme avancé dans le tweet suscité).
Il n’y a toutefois pas de sources à ce passage de l’article, ce qui est *mal*.
Dès lors, plus qu’une chose à faire : vérifier. C’est apparemment les noms de Beckett et de Soljénitsyne qui ont choqué M. Assouline : il s’agissait donc de savoir quelles ont été les relations de Maurice Nadeau avec ces deux auteurs.
Pierre Maury, qui a connu Maurice Nadeau, écrit (dans un billet de blog qui laisse à penser qu’il a lui-même lu un peu trop rapidement ledit article de Wikipédia, d’ailleurs) :
Cela ne l’a [Nadeau] pas empêché, très vite, d’écrire des articles sur le futur prix Nobel de littérature, de se rapprocher de lui, de publier de nombreux textes inédits dans Les Lettres nouvelles, et de lui donner plus d’une page, pour un autre inédit, dans le premier numéro de La Quinzaine littéraire.
Maurice Nadeau a donc bien édité Beckett.
Qu’en est-il de Soljénitsyne ? Nous nous sommes posé la question tous ensemble sur Twitter, pendant l’heure de midi :
@RemiMathis @Passouline Nadeau a effectivement contribué à faire découvrir Soljenitsyne en publiant des essais sur lui #SavoirCritiquer
— Bibo El Mago (@Bibelmag) June 19, 2013
Bibo el Mago a donné des éléments de réponse précis, sur le rôle de Nadeau dans la promotion de l’écrivain soviétique en France :
@RemiMathis @Passouline Une journée d'Ivan Denissovitch : traduction française en 1963 chez Julliard où travaillait Nadeau à l'époque…
— Bibo El Mago (@Bibelmag) June 19, 2013
@RemiMathis @Passouline un article sur La maison de Matriona dans le premier numéro de La Quinzaine.
— Bibo El Mago (@Bibelmag) June 19, 2013
Sauf erreur, l’information était donc elle aussi pertinente : Nadeau a été un des premiers à faire connaître et reconnaître l’oeuvre de Soljénitsyne en France. Les erreurs sont néanmoins toujours possibles et personne ne doute que M. Assouline soit un bon connaisseur de la vie littéraire du XXe siècle : il était donc important qu’il pût répondre, afin que la critique ne soit pas stérile mais aboutisse à une meilleure information sur le travail de Maurice Nadeau.
@Bibelmag Donc, a priori, c'est tout-à-fait pertinent. Qu'en pensez-vous, @Passouline ?
— Rémi Mathis (@RemiMathis) June 19, 2013
Hélas, à cette heure, M. Assouline n’a pas répondu. Nous ignorons donc pour l’instant quels éléments lui semblaient erronés et valaient de parler de « ravage ».
Mais son tweet, lui, a été lu par plusieurs dizaines de milliers de personnes – qui ont pu prendre pour argent comptant une attaque virulente, dont la pertinence nous échappe encore. Ce qui rappelle encore une fois la nécessité de lire de manière précise, de critiquer ses sources et de savoir en vérifier la pertinence.
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